Anne-Marie Saunal : « L’écoute inconditionnelle est une marque
d’amour »
Pour la psychanalyste parisienne, auteur de deux ouvrages (1) sur sa pratique, le choix de son métier n’est pas sans lien avec sa foi chrétienne. Entretien avec Anne-Marie Saunal, psychologue et psychanalyste.
12/9/13 – 14 H 48
La Croix : Dans vos livres, vous parlez de vous et de votre pratique, ce qui est très rare chez un psychanalyste…
Anne-Marie Saunal : Mes deux livres sont nés à la suite d’une demande d’éditeurs qui m’ont convaincue de raconter mon métier. De fait, c’est très
délicat de parler de soi, car il n’est pas bon pour mes patients, actuels et futurs, de savoir trop de choses sur moi. Cela risque de les freiner dans
leur parole. Certains qui savent que je suis chrétienne craignent de me choquer ou s’inquiètent de ce que je puisse les juger…
Combien êtes-vous de psychanalystes chrétiens en France ?
A.-M. S. : Ceux qui le sont ne le disent pas forcément. Il est bon que le patient trouve par lui-même le sens de son existence. De plus, ce n’est pas
Anne-Ma rie Sau na l : « La foi m e perm et de poser u n Stephane OUZOUNOFF/CIRIC
r eg a rd d’espér ance su r m es pa tients, de prier pou r eu x , de les confier à Dieu . »
LES DERNIÈRES INFOS 23h20 Portugal: la crise de Banco Espirito Santo réveille les vieux démons AFP10/7/2014 Anne-Marie Saunal : «L’écoute inconditionnelle est unemarque d’amour »| La-Croix.com
http://www.la-croix.com/Ethique/Sciences-humaines/Anne-Marie-Saunal-L-ecoute-inconditionnelle-est-une-marque-d-amour-2013-09-12-1013794 2/3
forcément bien vu dans les milieux psy. Mais, personnellement, cela ne me gêne plus de dire ma foi. Et puis, à la Société de psychanalyse
freudienne (SPF), on est assez ouvert ; on fait bon accueil au petit groupe de recherche que j’ai fondé, intitulé «Les Évangiles sur le divan».
Aujourd’hui, qu’est-ce qui pousse à venir voir un «psy» ?
A.-M. S. : Généralement, on vient en dernier recours, quand la souffrance devient trop forte ou les symptômes trop invalidants, tels des
obsessions, des phobies, des crises d’angoisse, la dépression… Certains – et c’est de plus en plus fréquent – viennent parce qu’ils souffrent au
travail ; avant, on supportait la mauvaise humeur de son patron, tandis qu’aujourd’hui, on accepte moins les frustrations et les limitations de sa
liberté. D’autres patients viennent parce qu’ils ont une épreuve à traverser, tel ce patient, catholique très pratiquant, que son épouse voulait
quitter.
D’autres, entre 25 et 35 ans, n’arrivent pas à trouver l’âme sœur et sentent obscurément qu’ils ont un blocage. Certains patients chrétiens veulent
travailler leur histoire pour aimer mieux, de manière plus libre, pour vérifier que leur foi n’est pas qu’une consolation, pour discerner ce qui relève
du psychologique et du spirituel… Il m’arrive d’ailleurs d’orienter mes patients croyants vers un accompagnateur spirituel.
Et vous-même, que vous apporte la foi dans ce métier ?
A.-M. S. : Déjà de tenir le coup face à des histoires très lourdes ! Au début surtout, je recevais des cas quasi désespérés et je me sentais atteinte,
entamée, par le mal effroyable que ces patients avaient subi. La foi me permet de poser un regard d’espérance sur mes patients, de prier pour eux,
de les confier à Dieu… surtout lorsqu’ils sont suicidaires.
Ce qui n’ôte rien à mon écoute professionnelle de leur inconscient et à mon désir de les aider à résoudre leurs problèmes psychiques. J’ose penser
que mon regard englobe la personne dans ses quatre dimensions – physique, psychique, sociale et spirituelle – et ne la réduit pas à un inconscient
sur pattes ! Et puis, il y a de l’amour dans le fait d’offrir à quelqu’un une écoute inconditionnelle qui ne juge pas et cherche à valoriser. En ce sens,
mon métier m’apparaît comme une vocation, une mission liée à mon «talent».
Depuis vingt ans d’exercice, qu’est-ce qui vous marque le plus ?
A.-M. S. : L’attachement des patients à leur souffrance. Certes, ils demandent de l’aide et veulent être libérés au plus vite de leurs symptômes.
Mais si, par magie, cela pouvait être le cas, ils s’effondreraient aussitôt, car la plupart sont attachés à leurs souffrances et aux mécanismes de
défense qu’ils ont mis en place pour s’épargner une angoisse bien pire. D’où les résistances inconscientes qu’ils opposent au travail analytique par
crainte du vide.
En quoi la psychanalyse aide-t-elle à discerner entre le bon et le mauvais, entre le bonheur et le malheur ?
A.-M. S. : Notre vie psychique est un combat permanent entre la pulsion de vie et les pulsions de mort. Une thérapie analytique renforce la pulsion
de vie dans la mesure où elle apprend à repérer ce qui, dans son comportement, conduit vers le repli, la destruction, l’échec, ainsi que les
bénéfices secondaires que l’on en tire.
Ainsi, un patient qui veut se débarrasser de sa phobie du métro devra renoncer à ce que sa femme le conduise partout – ce qui était un bénéfice
secondaire de sa phobie. Une fois que l’on a repéré en soi ce qui conduit vers le malheur, le «mauvais» pour soi et pour la relation, il est plus facile
de choisir le bonheur.
C’est d’ailleurs ce dont témoignent la plupart des patients : au fil de leur cure, ils sortent de leurs inhibitions et procrastinations, se sentent plus
vivants, plus libres pour aller vers les autres. C’est en soignant l’origine du symptôme que l’on peut mettre fin à sa répétition ; dans le cas contraire,
on ne pourra que rechuter, même si l’on est conscient que ce l’on fait est «mauvais» et que l’on s’en confesse régulièrement.
————————
PSYCHANALYSTE ET CHRÉTIENNE
Née en 1958, Anne-Marie Saunal a été marquée par le scoutisme, ce qui a contribué à sa «vocation altruiste».
Après des études de lettres et de droit, puis un DESS de psychologie clinique, elle s’installe en 1993 comme psychologue et psychanalyste
(membre de la Société de psychanalyse freudienne) dans le 16
e arrondissement de Paris. Au fil des années, elle anime aussi des groupes de
supervision pour écoutants, ainsi qu’un séminaire sur l’articulation du psychique et du spirituel.
Cette mère de deux grands fils ne cache pas sa foi chrétienne. Après avoir fait l’École des responsables (École Cathédrale) et accompagné
des catéchumènes, elle a longtemps collaboré avec le prêtre exorciste du diocèse de Paris. Après ses deux premiers ouvrages, elle devrait publier en janvier prochain Des vies restaurées (Cerf).
(1) Journal d’une psychanalyste heureuse (Payot, 255 p., 20 €) et Psy, délivrez-nous du mal ! (L’Atelier, 176 p., 16 €, lire La Croix du 16 octobre 2008).